Dialogue entre René et Samuel (de mon livre 'Les mystères de René Bardof', pas encore publié, qui est une traduction modifiée de mon livre 'O Código David')
«- Mais n’est-ce pas justement le Pouvoir Judiciaire qui est appelé à juger?
-
Exactement. Il s’agit d’une question de pouvoir, c’est-à-dire, du pouvoir de se
prononcer par omission sans devoir en répondre des conséquences. C’est pour
cette raison que le Pouvoir, avec un «P» majuscule, ne peut pas être confié à
des personnes avec un «p» minuscule. C’est le drame de la démocratie. Si le «d»
de celui-là est majuscule et celui de celle-ci est minuscule, le «j» de la
justice sera minuscule. Mais si c’est l’opposé, alors nous aurons l’espoir du Tsedek Tsedek, de la Justice Juste.
- Vous, les
juristes, vous parlez toujours de démocratie, mais ce qu’on appelle démocratie
c’est un héritage grec qui ne correspond pas à ce que nous désirons qu’elle
soit quand nous y faisons allusion.
- Comment
ça, elle ne correspond pas? La démocratie est un idéal.
- Mais c’est
là justement tout le problème. N’étant qu’un idéal, celui-ci n’est même pas ce
qu’il devrait être.
- Et
qu’est-ce qu’il devrait être alors?
- La vraie
démocratie.
-
C’est-à-dire?
- C’est la
démocratie qu’on n’a pas héritée des Grecs, raison pour laquelle, à la rigueur,
il ne faudrait pas non plus employer le mot démocratie.
- Et de qui
aurions-nous hérité ou plutôt aurions-nous dû hériter de la démocratie qui n’en
est pas une?
- Je n’ai
pas dit que ce n’est pas de la démocratie. J’ai dit que ça ne s’appelle pas
démocratie.
- Alors,
comment s’appelle-t-elle cette démocratie?
- Shemocratie.
- D’où as-tu
sorti cette histoire de shemocratie?
- De notre
tradition. Si le monde avait choisi l’héritage d’Israël plutôt que celui des
Grecs, ce que nous aurions aujourd’hui ce serait de la shemocratie.
- Et en quoi
consiste-t-elle cette shemocratie?
- Tout d’abord,
notre profession de foi, «Shema Israel»,
c’est-à-dire «Écoute, Israël». Mais il ne s’agit pas uniquement d’écouter, mais
d’effectivement prendre en compte ce qu’est dit pour être entendu.
- Et
ensuite?
- Le récit
de la Tour de Babel, que nous lisons dans la paracha Noach.
- Je
remarque que tu as un déluge d’idées sur n’importe quel sujet et que le ciel
est la limite. Ça ne fait rien. Continue.
- Tu as
certainement lu “De la Démocratie en Amérique” d’Alexis de Tocqueville.
- Il y a
longtemps.
- Tocqueville
y parle de l’omnipuissance de la majorité. Quand il traite du pouvoir de la
majorité sur la pensée, il dit qu’il ne connaît aucun pays où règne, en
général, moins d’indépendance de l’esprit et de vraie liberté de discussion
qu’en Amérique, où la majorité dessine un cercle formidable autour de la
pensée. À l’intérieur de ces limites l’écrivain est libre. Mais malheur à celui
qui ose les franchir. Il subira des persécutions tous les jours. Cette
démocratie dictatoriale est d’origine grecque.
- Comment
ça? Je n’ai pas encore saisi en quoi la démocratie grecque n’est pas
démocratique.
- Par
exemple, dans le dialogue entre Socrate et Criton, le premier émet des opinions
tandis que le second ne fait que dire «oui», «comment nier?», «c’est bien
clair», «exacte» et beaucoup d’autres phrases qui n’expriment que son accord
avec le philosophe ou ne servent qu’à préparer le terrain pour l’affirmation
socratique suivante, mais sans jamais les contester.
- En somme,
tu es en train de dire que la fameuse dialectique grecque n’est rien d’autre
qu’un monologue travesti de dialogue.
-
Exactement. Par contre, la tradition d’Israël est tout l’opposé. Dans la paracha Noach, par exemple, les hommes
décident de construire une tour pour arriver jusqu’au ciel et Dieu, qu’est-ce
qu’Il dit? «Voilà un même peuple et une même langue pour eux tous; c’est ça qui
leur a fait commencer». Autrement dit, le pouvoir absolu, tout le contraire de
ce qu’on entend d’habitude par démocratie. Dieu confond la langue de sorte que
les hommes passent à parler des langues différentes, selon chaque peuple. Ce
qu’Il fait c’est, si tu m’autorises l’analogie, donner de la voix à Criton. La
voix discordante. L’important c’est qu’il n’y ait pas de pensée unique. Non pas
pour qu’il n’y ait pas de confusion, mais pour qu’il y ait un dialogue réel et
vrai et, par conséquent, du progrès. C’est ça le sens des différentes langues,
car même dans les pays où tous parlent la même langue, la démocratie ne peut
consister dans une majorité qui ignore la minorité. La différence, quelle
qu’elle soit, y compris d’opinion ou de croyance, c’est ce qui nous protège de
la dictature.
- C’est ça
la démocratie?
- Non, ça
c’est la shemocratie, c’est-à-dire le
régime de l’écoute effective de l’autre, des minorités, par opposition au régime
de la seule majorité.
- En somme,
tu proposes que l’héritage grec soit remplacé par l’héritage d’Israël.
- C’est ce
que je soutiens, en effet. Et le monde sera plus juste et meilleur ainsi.
- Ne t’en
fais pas. Je n’invente rien. On n’y peut
pas avoir de meilleure source, car le texte biblique lui-même nous en donne la
base légale nécessaire. Après, ce n’est qu’une question de choix pour la shemocratie.
- Est-ce que
tu pourrais être plus précis? C’est-à-dire, donner la référence de cette base
légale.
- Évidemment. Quand Dieu décide de détruire Sodome avec tous ses habitants,
Abraham conteste cette décision en
questionnant comment Dieu pourrait-Il anéantir d’un même coup l’innocent avec
le coupable. Abraham plaide pour le pardon de Dieu à la contrée s’il s’y
trouvaient cinquante justes. Et Dieu écoute Abraham qui, alors, place ce seuil
du pardon à quarante-cinq dans sa plaidoirie, et ensuite à quarante, puis,
successivement, à trente, à vingt et, enfin, à dix, et à chaque fois Dieu
l’écoute. Le Roi tout puissant écoute celui qui n’est pas, mais se fait le
porte-parole des innocents de Sodome. C’est peut-être parce que Dieu venait de
lui dire qu’il avait été distingué pour prescrire la voie de l’Éternel non pas
par la dictature, mais au travers de la pratique de la vertu et de la justice.
Or, la démocratie comme étant la loi de la majorité aurait conduit Dieu à
détruire Sodome du simple fait que la majorité méritait de mourir. La shemocratie, c’est-à-dire la loi de l’écoute
de la minorité, permit à Dieu de prendre en compte les mots d’Abraham et
d’aller compter, à chaque fois, les innocents, conformément à la plaidoirie.
Malheureusement, il n’y avait même pas dix innocents à Sodome, et comme Abraham
ne poussa pas plus loin, Dieu anéantit Sodome. »
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